Le magicien

Je ne suis pas certaine que ceci soit intéressant à lire.Comment le savoir si tu ne le fais pas lire aux autres m'a rétorqué Jimmy Criquet. Alors soit.Ceux qui liront un morceau me donneront peut être leur avis . Merci à eux.


« Loustic ,au pied!
Le grand magicien semblait assez contrarié ce qui n'était pas habituel.
_J'y suis déjà grand maître; votre vue de lynx baisserait-elle ou connaîtriez-vous enfin le sens du mot fatigue?
_Ma vue est parfaite et je ne suis pas fatigué imbécile. Que faisais -tu sous le fauteuil?
_J'anticipais maître ,comme vous me l'avez enseigné. J'anticipais le "au pied".
_Dis moi Loustic cela fait combien de temps que tu suis mon enseignement?
_Des lustres grand maître, pourquoi?
_Pour rien Loustic, pour rien. Quand même, tu es la preuve vivante de ma gigantesque patience .
_Et celle que la magie ne peut pas tout.
_Tu sais bien que je ne pouvais rien faire pour toi car tu avais perdu l'espérance.
_Je l'avais retrouvée.
_Et reperdue? Non elle a dû se sauver en courant en te voyant!
_Sans doute. »
Comment le gnome pouvait-il expliquer à ce grand savant quelque peu arquebouté sur ses positions que c'était justement lui qui lui avait rendu son espérance? Mais quand le magicien avait renoncé à le transformer, il avait défailli . Il avait erré plusieurs jours ne sachant où aller, il avait même tenté de se trancher les veines. Sans succès ; car pour cela aussi il n'était pas adroit. Il avait demandé "un objet contondant" au marchand de malheur , voulant user d'un mot que le magicien lui avait appris. On lui avait alors fourni une massue. Comme il était hors de question qu'il s'assomme (trop aléatoire) il s'était servi d'une épine de rose. Sur le moment il était presque fier d'avoir rattrapé sa gaffe. Ce qu'il ignorait c'est que dans son espèce le sang est très visqueux et ne coule pas facilement. Bref il avait remis son idée dans un coin de sa tête. Et il était rentré, perdu.
_Et bien file la chercher, abruti !ordonna le magicien sans un regard pour atténuer la dureté du propos.
Le petit bonhomme partit se disant qu’il allait encore rêver d’horribles dragons. C’était ainsi à chaque fois que son maître semblait de mauvaise humeur .
« Pfff ! Comment est-ce que je fais pour supporter un truc pareil à mes côtés, se demanda le magicien à haute voix. Pas un seul progrès . Heureusement que mes autres élèves s’en sortent bien mieux, il me ferait presque douter de mes dons de transformateur. Enfin non, faut pas exagérer. D’abord comme le disait mon honorable père « une hirondelle ne fait pas le printemps » ;ensuite mes dons sont éternels, hérités de ma mère ,la grande et puissante prêtresse Elythée qui fonda notre cité. D’ailleurs lorsque je la verrai je lui demanderai qu’elle me débarasse de cet être ennuyeux .Après tout c’est elle qui me l’a rapporté. Elle n’aura qu’à le récupérer. »

La grande prêtresse descendait rarement de son refuge situé à la frontière de sa cité . Elle avait transmis ses dons à son fils et le regardait diriger leur pays , de loin . Son fils était assez doué , usant d’un étrange mélange de douceur et de dureté, de gentillesse et d’humiliation, de modestie et de suffisance. Tout le monde l’aimait. Même s’il pouvait se montrer verbalement cruel avec ceux qui n’écoutaient pas ses conseils. C’était là son seul point faible ; l’homme, cérébral , ignorait les ravages causés par ses paroles.
Pourtant les « désobéissants » l’aimaient pareillement aux autres ,ils cherchaient seulement à communiquer à leur façon : désespérée.
Quelques temps après la grande prêtresse avertit son fils de sa venue. Comme d’habitude elle ne lui signifia pas le but de cette visite estimant , comme toutes les mères, qu’elle n’avait besoin d’aucune raison pour voir sa progéniture. Le grand magicien lui s’inquiéta . Avait-il commis un impaire ? N’était-il plus digne de diriger le royaume ?
« Loustic !
_Maître ?
_ Tu es bien sûr que tout est prêt comme elle l’a demandé ?
_ Affirmatif, chef ,répondit le gnome ,amusé de voir son maître préféré dans tous ses états.
_Tu sais Loustic , expliqua le magicien, si tu es responsable de la colère de ma mère, tu retourneras dans les antres de la Terre. Alors évite ce petit sourire en coin. »
Le gnome ne riait plus depuis qu’il avait perdu l’espoir de changer, il souriait parfois. Mais l’ idée de retrouver sa vie d’avant lui rendit son air sévère, celui qu’il avait souvent .Quand tout fut enfin prêt, quand il eut tout vérifié des centaines de fois ,il alla se coucher .Il fallait être reposé pour affronter la grande Elythée.
La prêtresse arriva à l’aube ,entourée de ses deux fidèles serviteurs. Elle était très belle, vêtue de façon élégante mais très originale. Et malgré cela elle gardait une allure stricte. Pas de doute ,c’était une maîtresse femme. On n’avait guère envie d’être dans son collimateur. C’est pourquoi Loustic, se souvenant des menaces du magicien, s’était fait encore plus transparent qu’habituellement. Il n’avait aucune envie de retourner sous la terre où vivaient des individus patibulaires . Mieux valait se taire.
Le magicien se tenait là devant la porte . Il s’avança auprès de sa mère ,lui tendit la main pour l’aider à descendre de son chariot et la salua.
« Mère, vous êtes la bienvenue chez vous . J’espère que vous ne regretterez pas votre paisible demeure pendant votre séjour parmi nous.
-Mon fils, je suis ravie de te voir . Malheureusement ,je ne t’apporte pas de bonnes nouvelles. Et ma demeure n’a plus rien de paisible.
-Que voulez-vous dire ?
Elythée allait répondre quand elle aperçut Loustic plié en quatre pour ne pas être vu. Elle lui adressa la parole :
-Gnome ,je t’ ai vu. Tu sais c’est moi qui t’ ai sorti de ton monde ,alors je n’ai pas de difficultés à te reconnaître.
S’adressant à son fils : Ton gnome ne semble pas avoir évolué en bien. Il ne te gêne pas trop ?
-Et bien ,commença le magicien ,parfois si. Ne croyez vous pas qu’il devrait retourner dans son passé ? Il ne mérite pas de rester parmi nous et surtout à mon service . De toute façon c’est impossible de le transformer puisqu’il n’a plus d’espérance. Bien sûr il m’aide un peu mais d’autres gnomes seraient beaucoup plus efficaces que lui.
-C’est toi qui vois mon fils. Sûr qu’il n’est pas doué mais nous pouvons lui faire entièrement confiance. Et avec ce que je viens t’annoncer on peut en avoir besoin. »
Le gnome était passé par toutes les couleurs de l’arc en ciel en écoutant cette conversation.. Du jaune panique au vert de peur puis au bleu espoir et enfin au rouge de joie. Pourvu que son maître écoute sa mère !
Le magicien ,lui, faisait grise mine : Que voulait dire sa mère ? Quel danger menaçait la cité ?
-Et bien mère ,vous allez réveiller mon ulcère ,que venez –vous m’annoncer ?
Le magicien avait tenté de prendre un ton léger mais il savait que la grande Elythée se déplaçait rarement pour de futiles raisons. Jamais elle n’aurait fait ce long voyage uniquement par amour maternel. Ni son caractère ,ni ses fonctions de grande prêtresse ne lui autorisaient ce genre d’effusion. Elle commença ainsi son récit :
« Il y a maintenant six mois que les cracheurs d’eau luttent –en vain malheureusement- contre un terrible incendie. Les peuples des bois ont tous fui soit dans ta direction ,vers les rivières, soit sous la terre chez les gnomes. Les conséquences sont nombreuses et désastreuses. D’abord ceux qui sont restés commencent à manquer d’eau et de nourriture, les terres brûlées seront peut-être fertiles d’ici deux ou trois ans, pour l’instant ce sont d’immenses déserts. Les cracheurs d’eau doivent parcourir des distances de plus en plus grandes pour capter l’eau. Leur travail devient très risqué et toujours sans résultat. Les gnomes ne sont pas réputés pour leur accueil, ils n’ont pas côtoyé nos peuples depuis le dernier tremblement. Comment vont-ils réagir en voyant des milliers d’elfidés arriver ? Je crains aussi pour les peuples des bois qui viennent par ici car le voyage est long et l’on croise beaucoup de ces êtres ,les Hommes-chasseurs ,incapables de différencier un cerf d’un miniture.
Mon fils tu comprends que si je suis venue jusqu’à toi c’est parce que tu es désormais le seul à pouvoir nous délivrer de ce malheur causé très certainement par le peuple des dragons.
Enfin bref ,tu connais mon opinion ,n’avoir recours à la magie qu’en derniers recours ,mais là je crois bien que l’heure est venue pour toi de te servir de tes pouvoirs. L’existence même de nos peuples est menacée par cet incendie.
Le magicien qui avait laissé sa mère parler sans intervenir (l’aurait-il souhaiter qu’il n’y serait pas parvenu) attendit qu’elle termine son récit puis questionna :
_Mais pourquoi le peuple des dragons aurait rompu le pacte de non agression que nous avions conclu avant que vous ne vous retiriez ?
_Je l’ignore mon fils. L’ambition ,la bêtise que sais-je ? Tu sais les dragons sont les animaux les plus proches des êtres humains et nous pouvons constater chaque jour que les Hommes détruisent tout sans se préoccuper de l’avenir. Les dragons semblent un peu moins bête car eux ne s’entre-tuent pas.
Le magicien réfléchit un bref instant puis déclara :
_ Mère, vous avez raison . Le moment est venu pour moi d’affronter ces bestioles qui veulent notre disparition. Vous vous allez rester ici pour rassurer mon peuple, accueillir les peuples des bois qui auront réussi à traverser la forêt jusque là . Loustic ?
Le Loustic tremblait comme une feuille depuis qu’on avait évoqué les dragons, ceux-là même qui hantaient régulièrement ses cauchemars . Il mit une longue minute à réagir .
-Euh ,oui maître ,vous désirez ?
_Loustic tu vas préparer mes potions puis tu te mettras au service de ma mère. Je compte sur toi pour lui être serviable et utile !
Loustic resta bouche bée . La grande prêtresse ,il ne la connaissait pas. Il n’était guère enthousiaste et le fit savoir par son mutisme et son immobilisme .Pourtant il savait pertinemment que les ordres de son maître ne se discutaient pas. Le grande prêtresse vint alors à son secours.
_Cher enfant ,je n’ai nul besoin de Loustic, je te rappelle que j’ai deux merveilleux gnomes à mes côtés ,qui connaissent parfaitement cette région du royaume comme moi d’ailleurs .Je pense à autre chose pour ton gnome.
_Ah oui ? fit le magicien
_Ah oui ? se pensa très fort le gnome .
_ Oui. Je pense qu’il peut t’accompagner jusqu’à l’entrée des catacombes et aller plaider auprès de son peuple pour qu’il sauve les elfidés, les nains et les minitures.
_Je ne suis pas contre mais c’est une lourde tache pour un gnome ,non ?
_ Je ne vois pas qui d’autre qu’un gnome pourrait rejoindre les catacombes. En outre Loustic est le moins sociable des gnomes vivant parmi nous. Il est donc le plus apte pour cette mission. »[i]

Evidemment personne ne demanda son avis au gnome qui préférait de loin ce travail là à l’autre. D’abord il ferait une bonne partie du voyage avec son maître, ensuite on lui avait donné une mission importante même s’il n’était guère rassuré à l’idée de retrouver ses terres natales. N’était-ce pas l’occasion pour lui de démontrer au magicien qu’il n’était pas complètement raté ? Et qui sait ? S’il réussissait ,le magicien serait moins rude avec lui, il retrouverait alors la joie et l’espérance et ainsi le magicien accepterait peut-être de le transformer.
Un joli rêve. Il y avait beaucoup trop de si pour que le gnome s’enthousiasme. Il se ressaisit. Il fallait se montrer digne ,à la hauteur de sa mission.
Le magicien le fit sortir de ses pensées :
« Loustic ,nous partons demain ,alors cesse de réfléchir et prépare tes affaires.
_ Maître, qu’arrivera-t-il si j’échoue ? demanda soudain le gnome.
_Et bien nous te trancherons la tête, microbe ,répondit le magicien .
Ce n’était pas tant l’idée de mourir que le ton laconique de son maître qui paralysa le petit être. Si le magicien était sévère avec lui ce n’était que pour son bien ,il en était certain. Le maître ne pouvait pas lui faire de mal.
Le magicien s’esclaffa :
_Boouhh, ne fais pas cette tête triple andouille. C’était une plaisanterie.
Tu sais comme celles que j’enseigne dans le cours « second degré ».
Le gnome ne comprenait absolument rien au second degré ce qui l’énervait furieusement car son maître l’utilisait sans arrêt.
Le magicien reprit un ton sérieux :
_Tu sais ,microbe ,je pourrais te poser la même question .Qu’arrivera-t-il si j’échoue ?_
Le gnome n’avait pas envisagé une seconde que son maître puisse échouer. Pourtant à part dans ses rêves, il n’avait jamais vu de dragons. Pour lui le maître était le plus doué des magiciens du monde, il déplacerait des montagnes si c’était nécessaire.
Nous allons ,nous devons réussir dans notre mission , microbe. Le royaume compte sur moi et moi je compte sur toi. Allez, file maintenant. »
Le magicien ne croyait pas que son gnome ait assez de talent pour réussir. Il se préparait même à la disparition des peuples partis se réfugier sous la Terre. Mais ce soir là il n’avait pas envie de décourager le gnome car un gnome heureux était un gnome supportable alors qu’un gnome triste était une calamité. Et le voyage allait être long.
Après avoir préparé ses bagages , le magicien réunit ses amis et ses élèves. Il leur expliqua la situation avec une voix grave qui reflétait son humeur . Ses amis ,qui le fréquentaient depuis un moment, savaient déceler la moindre faille rien qu’en l’écoutant. Là la voix ne montrait aucune crainte mais de la détermination ,du courage et de l’assurance .
_Chers amis ,vous comprenez bien que je ne peux vous dire quand et si je serai de retour. Cependant je compte bien être revenu avant l’anniversaire de ma très chère mère qui vous servira de guide en mon abscence .Loustic et moi adorons les anniversaires, n’est-ce pas Loustic ?
_Heu ..pardon maître ,vous m’avez interrogé ?
Tout le monde éclata de rire en voyant le visage du gnome pris en flagrant délit de rêveries.
_Oui, Loustic ,je te parlais. Heureusement que la magie m’écoute plus que toi. Je disais que tu adorais les anniversaires.
_Ah bon ? Non je ne crois pas , vous ai-je dit que je les aimais ?
_Mais non idiot ! Je sais bien que tu les détestes. C’était ironique.
Encore un truc auquel le gnome ne comprenait rien.
_Je me disais aussi ,dit le gnome en essayant de conserver un air neutre.
L’assemblée rit de bon cœur .Finalement, Loustic n’était pas si mécontent de la faire rire malgré lui.
Le magicien reprit :
_Il se fait tard ; rentrez chez vous .Je vous fais confiance pour rassurer notre peuple et accueillir comme il se doit ceux de la forêt.
L’avenir était incertain. Certains étaient en danger. Pourtant il y avait comme un parfum d’excitation chez le magicien pressé de mettre en pratique ses études de magie. Etait-ce pour ce parfum que les Hommes se battaient si souvent ? Loustic ,lui, n’avait encore pas compris que sa terre était menacée de disparition. Il était simplement fier et heureux de servir son maître ,apeuré par le retour dans son passé et angoissé à l’idée d’échouer.
A quatre heures du matin ,ils étaient prêts. Ils traversèrent le monde des rivières ,ne croisant aucun individu des forêts. Ils faisaient le moins de pauses possibles . Si le magicien aurait de loin préféré l’un de ses amis pour discuter en route , il estima que Loustic se montrait d’une compagnie tout à fait acceptable. Au bout de trois jours de forêt, ils commencèrent à percevoir les premiers signes de l’immense incendie : les animaux couraient dans tous les sens, les bébés étaient abandonnés, les feuilles des arbres étaient sèches, cassantes ; par endroits ,il n’y avait plus de végétation.
_Prépare-toi à voir d’horribles choses, fit le magicien à son gnome.
Ce dernier avait peur ,il commençait à comprendre . Les gens mouraient ,fuyaient en laissant des êtres aimés, se battaient pour un fruit pourri , brûlaient dans les flammes géantes .Loustic se demanda ce que pouvait ressentir son maître. Que peut ressentir un roi lorsqu’on assassine son peuple ? Le magicien n’exprimait jamais aucune émotion. Une fois, Loustic avait entendu la sœur de son maître lui dire :
« Pourquoi toujours cacher ta sensibilité ?
_Je suis là pour agir . Les sentiments sont contre productifs dans l’action .
_ Si tu exprimais tes doutes et tes craintes ,ton peuple se sentirait plus proche de toi. Tu aurais l’air plus normal.
_Comment veux-tu que je paraisse normal ? Je suis roi et magicien.
_Tu passerais moins souvent pour un rustre ou un ours ,ton peuple aurait moins peur de toi . Et la peur n’aide pas les petits êtres à agir.
_Crois-tu que mon peuple ne m’aime pas ? Regarde Loustic ,il fait tout de travers donc je le houspille constamment . Néanmoins il est toujours là ,il n’a pas l’air décidé à partir.
_C’est vrai , ton peuple t’aime. Loustic t ‘es tout dévoué. Mais tu lui fais peur . N’as tu donc jamais remarqué ses larmes lorsque tu le disputes et au contraire la lumière dans ses yeux quand tu le complimentes ? C’est alors comme si tu rechargeais ses piles pour des mois. Ton peuple c’est pareil.
_ Faudrait-il encore une bonne raison d’être aimable. Les occasions de complimenter Loustic sont rares car il est rarement efficace. Mais je n’ai jamais eu l’intention de l’humilier. Si je suis sévère c’est parce que j’espère encore qu’il progressera un peu. »

Loustic puisait sa force en regardant son maître et ne montrait rien de sa désolation . Comment pouvait-on massacrer autant de monde pour un bout de Terre ou de pouvoir ?
Il ne croyait plus au bonheur depuis longtemps mais là le sort semblait vouloir lui donner raison.
Ils passèrent bientôt devant un lac aux eaux vertes que Loustic reconnut aussitôt. C’est là qu’il s’était caché pendant le dernier grand tremblement, espérant que le Bon Dieu des uns ou des autres vienne le délivrer de ses souffrances. Mais le Bon Dieu préfère les gens heureux ou les petits innocents .Cet illuminé n’a jamais remarqué que les gens heureux deviennent tristes en sa compagnie ; alors que les malheureux seraient si contents qu’il les rappelle . A se demander si Dieu a vraiment envie que la joie règne sur la Terre.
En passant devant le lac, Loustic déclara : nous serons arrivés dans cinq jours.
_Si tout va bien ,répondit le magicien, pour une fois pessimiste.
Le lendemain ,ils croisèrent des minitures. L’un d’eux les apostropha :
_Personne ne vous a dit qu’un immense incendie ravage la partie nord de la forêt et se dirige par ici ? Je ne sais où vous comptiez vous rendre mais je vous déconseille d’y aller. Là-bas personne ne survit plus de quelques heures.
_Nous le savons et nous te remercions de tes conseils . Sache que je suis votre roi-magicien . Aussi je dois affronter le chef des dragons pour que ce feu cesse de nous détruire.
Le miniture observa le magicien dont il avait si souvent entendu parler. Il lui dit en le saluant :
_Oh ,pardonnez-moi magicien. Que Dieu vous garde, je prierai pour vous.
Le magicien lança un regard discret vers Loustic ,l’air de dire «Ferme-la ; pas la peine d’ expliquer que je suis un sale mécréant ».
Par la suite ils croisèrent des nains qui leur demandèrent de sauver ceux qui n’avaient pu fuir ,des elfidés épuisés ,certains avaient les ailes brûlées par la chaleur de la fumée.
Loustic commençait à peiner , il le fit savoir :
_Maître ,les forces me manquent. Je sais que je ne suis pas à la hauteur de ma mission. Continuez votre chemin, moi j’abandonne ici.
_C’est hors de question ,Loustic, tu as un travail à faire. Si tu viens avec moi je serai ton souffle ; si tu restes ici tu ne survivras pas .Vois-tu cette fumée, Loustic ?
_Non maître, je n’ai hélas pas votre vue perçante.
_Loustic, la fumée se trouve à cinquante mètres ,la moindre taupe la verrait. Tu regardes seulement dans la mauvaise direction.
_Ah, oui ça y est je la vois bien maintenant. C’est l’incendie je suppose.
_Tu supposes bien . Dans peu de temps les flammes seront ici et tout brûlera, c’est ainsi que tu veux finir ?Moi, je cherche comment atteindre l’entrée des catacombes sans crâmer.

Effectivement des flammes ne tardèrent pas à les entourer .Le magicien décida d’utiliser ses armes ,après tout plusieurs peuples comptaient sur lui. Il fit un mur de glace devant lui et son gnome pour lutter contre le feu.
_Le mur a une résistance de 500 degrés , il ne faut pas traîner. Comme je sais que tu n’y connais pas grand chose en physique je t’explique : ça veut dire que dans quelques heures le mur aura fondu et nous mourrons. Je ne suis pas Dieu ,Loustic, je ne peux pas tout, alors dépêchons-nous.
Soudain le magicien s’écria :
_Loustic ,couche-toi !
Un énorme pica sans doute à la recherche de viande fraîche fonçait sur le petit être. L’ouïe extra-fine du magicien lui avait permis d’anticiper l’arrivée de l’animal affamé et à Loustic de survivre encore une fois.
_Tu aurais peut-être aimé finir entre ses dents, il ne serait resté aucune trace de toi.
Loustic n’eut pas le temps de chercher une bonne réplique car le mur de glace fondait à vue d’œil . Il fallait quitter ces lieux rapidement. Où allaient-ils trouver un peu d’air ?
_Loustic ,ordonna le magicien, je ne veux plus t’entendre te plaindre. Parler consomme inutilement l’oxygène dont nous avons besoin.
Le magicien semblait savoir ce qu’il faisait . Loustic le suivait de plus en plus difficilement, respiration saccadée, jambes lourdes. Il commençait de plus à perdre des morceaux de peau mais il n’en dit rien à son maître . Interdiction de parler avait ordonné celui-ci. Enfin le magicien se retourna et dit :
« Descends par cette ouverture, tu trouveras une rivière souterraine. Tu peux boire autant d’eau qu’il te plaira. Prends le temps de reprendre des forces. Immerge toi entièrement , l’eau soignera tes brûlures .
_Comment savez-vous… ?
_Crois-tu que je sois constitué de béton armé ? Moi aussi je brûle. Tu n’es pas différent de moi, j’en déduis que tu as dû brûler pareillement.
Loustic pénétra dans le tunnel ,étroit mais frais. Il mit un certain temps à comprendre que le magicien ne le suivait pas . Forcément, c’était bien trop étroit puisque Loustic touchait les bords de ses frêles épaules. Il voulut se dépêcher ,écourter cette visite souterraine. Puis il comprit : son maître préférait un loustic plein d’énergie ,aussi il se baigna longuement afin de soulager sa douleur et bu toute l’eau qu’il put .
A son retour à la surface il eut la belle surprise de retrouver un magicien en bien meilleure forme qu’à leur arrivée devant la grotte. Toujours intimidé le gnome n’osait poser de question. Il le fit à sa manière habituelle ,avec un regard interrogateur insistant .
Le magicien s’amusait parfois sciemment de cette manière de faire. Il faisait semblant de ne rien remarquer attendant que le gnome s’exprime avec des mots. Parfois il disait :
_Si tu as quelque chose à me demander ,je t’écoute.
Mais souvent il ne disait rien. Et riait sous cape. Ce qui mettait Loustic en rage. Car Loustic préférait le langage muet ,bien plus fidèle à ses pensées ,que les mots qu’il maîtrisait peu.
Cette fois encore il dut sortir de son mutisme :
_ Maître, demanda-t-il, avez-vous pu vous désaltérer aussi ?
_Oui ,Loustic. J’ai bu par procuration, grâce à toi et la magie.
Loustic n’osa demander ce que le magicien aurait dit s’il était remonté sans boire suffisamment. Sans doute le magicien avait-il agi également sur son choix. Loustic était incapable de prendre une seule bonne décision . C’est pourquoi il avait décidé de ne plus jamais décider. De rien.